Et Après Tout?
“Ma pauvre chÈrie, mais quíest-ce qui tíes arrivȆ?”
Cíest mon amie Julie qui parle, l‡. On avait rendez-vous pour un cafÈ aprËs ce qui devait pour moi Ítre juste un Èpointage des cheveux, comme tous les deux mois. Malheureusement, une sÈrie de coups de “pas de bol” particuliËrement sÈvËre fait que je me retrouve l‡, avec mes cheveux ‡ peine plus longs que les Èpaules, alors que moins díune heure plus tÙt, ils míarrivaient au creux des reins.
“Tu ne vas pas le croire†!”, jíannonce.
Je tente de garder ma composition, mais jíavoue que jíai quand mÍme la larme ‡ líúil. Je ne suis pas díhabitude du genre “fifille”, mais, ok, les cheveux sont ñ pardon, Ètaient ñ vraiment une chose qui me tenait ‡ cúur. Jíai toujours eu une longue chevelure ch‚tain clair particuliËrement Èpaisse et brillante, que jíentretenais avec ferveur et attention. Tous mes petits amis depuis le collËge en Ètaient fascinÈs, et passaient leur temps ‡ jouer avec ou la contempler avec amour.
Dío˘ mon dÈsarroi de me retrouver soudainement avec une coiffure, certes jolie, mais terriblement banale.
Jíai pris rendez-vous chez, tu sais, ma coiffeuse habituelle, et figure-toi que je me casse le nez sur la porte†: (je fais les guillemets avec mes doigts) “fermeture exceptionnelle pour cause de dÈcËs dans la famille”.
“Mince.”
“Tu míÈtonnes. Du coup, je ne me dÈmonte pas, je me dis quíaprËs tout, níimporte quel salon est bien capable de faire un Èpointage correct, quíest-ce que je risque ‡ aller ailleurs juste pour cette fois†?”
Je suis interrompue par le serveur qui nous apporte nos deux cappuccinos. Alors que díhabitude, les reprÈsentants de la gente masculine ont tendance ‡ me tourner autour comme des mouches sur de la confiture, l‡ cíest Julie qui me vole la vedette. Le garÁon de cafÈ nía díyeux que pour elleÖ Jíimagine que mon “quotient de sÈduction”, comme disent les magazines de mode, vient de chuter díun cran… Ce qui míagace díautant plus que ma copine prend une pose aguicheuse en le remerciant pour ses bons services (ok, il est plutÙt mignon). Je me racle la gorge.
“Pardon, tu disais†?”
“Tu sais, on parlait de la perte de líÍtre cher que je viens de subir†: ma chevelure†? (Je marque une pause, reprends mon souffle). Je continue, si tu veux bien†: du coup, je vais dans ‡ cet autre salon au coin de la rue Jean JaurËs, tu sais†?”
“Oui, oui, je vois.”
“Et figure-toi quíÈvidemment, ils sont dÈbordÈs donc, voil‡ quíils me collent avec leur apprentie. Et l‡, cíest le dÈbut de la catastrophe.”
“Quíest-ce qui síest passȆ?”
“En un, pour cette pauvre fille, il semble que deux centimËtres Ègal dix. Bien s˚r, difficile de me rendre compte ‡ ce stade-l‡, vu que je suis debout dans le salon pour la coupe, avec aucun miroir en ligne de mire.”
“AÔe.”
“Tu lías dit. En deux, vu le scandale que je fais quand je me rends compte que je níai plus les cheveux en bas du dos, mais ‡ mi-dos, elle propose de míoffrir le lissage au lisseur, soi-disant un nouveau modËle super gÈnial rÈvolutionnaire qui me fera les cheveux maxi brillants.”
“PlutÙt sympa, non†?”
“Sur le papier, oui, sauf que cette buse ne sait pas se servir de líengin, elle le rËgle beaucoup trop chaud, et l‡, idem, je me rends pas compte de ce qui se passe. Donc, au moment de me lever pour payer et partir, dÈj‡ un peu dÈgoutÈe, Ö”
“Tu míÈtonnes†!”
“Ö je míaperÁois que mes cheveux sont complËtement cramÈs, frisottants, enfin, juste totalement dÈfoncÈs.”
“Toi qui avais de si beaux cheveux†!” (pincement au cúur, mais je continue)
“L‡, la patronne intervient, passe un savon ‡ son apprentie, síexcuse platement, et me propose de rattraper le coup.”
Je fais une micro pause. Jíai encore les mains qui tremblent un peu ‡ líidÈe de me remÈmorer la scËne (díautant plus que le moins quíon puisse dire, cíest quí‡ ce moment prÈcis, je níai pas encore totalement digÈrÈ le traumatisme). Je reprends†:
“Donc, l‡, rebelote, shampoing, fauteuil, sauf que ce que níavais pas compris, cíest que “rattraper le coup”, Áa voulait en fait dire couper tout ce qui est abÓmÈ, comme pour, tu sais, les nanas qui vont chez le coiffeur une fois par an, et qui du coup se retrouvent avec des fourches tellement grandes quíil faut ‡ moitiÈ les tondre pour rattraper Áa.”
Je bois une gorgÈe de cafÈ qui a eu le temps de refroidir un peu.
“Et voil‡ comment je me retrouve avec les cheveux aux Èpaules.”
Sur ce, on passe ‡ autre chose, les cours ‡ la fac qui sont quand mÍme super diffÈrents du lycÈe (je suis en premiËre annÈe de Lettres), et plein díautres trucs qui ne nous intÈressent pas dans le cadre de cette histoire.
Arrive le moment de payer et de nous quitter, Julie en profite pour flirter une nouvelle fois avec le garÁon, ce qui míÈnerve passablement, et en ouvrant la porte sur la rue, elle me lance†:
“Je repense ‡ ton histoire de cheveux. Pourquoi tu níen as pas profitÈ pour demander une nouvelle coupe†?”
“Comment Áa†? Pour toi, plus de vingt centimËtres de moins, Áa níest pas une “nouvelle coupe”†?”
“Cíest plus court, oui, mais Áa reste la mÍme coupe. Cíest pas comme si tu tíÈtais fait faire une permanente ou un dÈgradÈ, tu vois†?”
“Tíes dingue ou quoi†? DÈj‡ que Áa va prendre des siËcles pour repousser, je vais pas en plus míamocher les cheveux avec une permanente.”
On commence ‡ remonter la rue en silence. Julie relance†:
“Ce que je veux dire, cíest que ok, je comprends que tu ne voulais pas les couper, díautant plus quíils Ètaient vraiment super beaux, mais maintenant que le plus dur est fait, tu nías pas envie díessayer de quelque chose plus joli†?”
“Comment Áa de plus joli†?”
“Ben, je sais pas, cette longueur, cíest juste super commun. Les trois quarts des filles de la fac sont coiffÈes comme Áa.”
“Je te rappelle que tu es coiffÈe comme Áa aussi, toi qui fais la maline.”
“Ok, Ècoute, excuse-moi, mais je vais Ítre super-franche, en fait cette longueur ne te vas pas du tout.”
Jíaime quand mes amies me remontent le moral. Vous avez remarquÈ ‡ quel point les filles peuvent Ítre cruelles entre elles†? (Ok, jíavoue, je ne suis pas un ange non plus).
“Je pars par l‡, je dois passer ‡ la superette, cíest le vide total dans mon frigo”, annonce Julie en pointant du doigt une rue perpendiculaire.
“Moi, jíai encore un peu de shopping ‡ faire, il me faut un manteau, il fait genre super froid dans cette ville†!”
“Ok, ‡ plus alors, tu me tÈl†?”
“CarrÈment†!”
On se fait la bise.
Je continue mon chemin en direction dí”Amandine”, un magasin de fringues que je connais bien, jíy ai repÈrÈ un petit manteau noir sympa, et je compte me líoffrir sur le champ pour me consoler. Je sais, cíest puÈril pour une grande fille comme moi, mais Áa fait aussi du bien de se vautrer dans les joies simples du shopping antidÈpresseur.
Je passe la porte de la boutique, qui est juste un peu plus loin dans la rue. Amandine, la vendeuse Èponyme, ne se formalise pas le moins du monde au tintement de la cloche, elle est, comme ‡ son habitude, en train de complÈter une grille de mots flÈchÈs. Je míapproche du comptoir.
“Salut†!”
Elle sursaute, soudainement happÈe hors de sa concentration, et il y a un petit moment de flottement o˘ elle ne semble pas me reconnaÓtre.
“Mince, Manu, cíest toi†? Quíest-ce que tu as fait ‡ tes cheveux†?”
Ah, oui, au fait. Je míappelle Emmanuelle, ce qui me vaut un nombre incroyable de sobriquets qui changent en fonction des gens, des contextes et de lí‚ge auquel je les ai rencontrÈs. Exemple, par ordre approximativement autobiographique†: Nunu, Nana, Nounouille (celui-l‡, je crois que cíest le pire), Manuela, Mano, Mimou, Emma (incontournable), et, bien entendu et pour Amandine, “Manu”. Je rÈtorque, avec une certaine amertume dans la voix†:
“Cíest une longue histoire.”
“Quel dommage, ils Ètaient si jolis†!”
Cíest ‡ se demander, si, finalement, je ne suis quíune touffe de poils.
“Je suis venue pour rÈessayer le long caban noir, tu sais†? Jíai failli le prendre la derniËre fois.”
“HmmhmÖ”
AÔe. En gÈnÈral, quand Amandine commence ‡ faire ce bruit l‡ avec son nez, cíest quíelle en train de se persuader de renoncer ‡ une vente pour le bien-Ítre de ses clientes. Si díun cÙtÈ, jíadmire ‡ chaque fois sa conscience professionnelle (cíest suffisamment rare pour Ítre signalÈ), je me fige aussi díinquiÈtude, parce que le problËme, cíest quíelle est de trËs bon conseil.
“Ecoute, je sais que je ne devrais pas te dire Áa, mais si ce manteau Ètait un super choix avec tes cheveux aux fesses, l‡, vu que tu es un petit modËle (Note : 1,65 m, pour Ítre prÈcise), avec ta nouvelle coupe mi-longue, Áa va tasser ta silhouette.”
Pour la ÈniËme fois de la journÈe, je suis juste dÈgoutÈe. En plus de míÍtre fait ratiboiser, il va maintenant falloir que je revoie ma garde-robe†?
“DÈcidÈment, cíest pas mon jour aujourdíhui†!”
“DÈsolÈe, tu sais que je dis Áa pour ton bien, je prÈfËrerais te le vendre, hein, Áa fait plus plaisir ‡ mon banquier†! Tu peux líessayer si tu veux, tu sais, je peux me tromper. A moins que tu veuilles que je te sorte díautres fripes qui seront plus sympas†?”
“Non, non, laisse faire, je repasserai.”
Je quitte la boutique avec un nuage noir au dessus de la tÍte. Je suis en train de ruminer ma journÈe en me dirigeant en direction la maison, en mode “yía des jours, vaut mieux rester couchÈe”, quand je passe devant un salon de coiffure. Je me mets ‡ repenser ‡ ce que mía dit Julie au cafÈ.
Et aprËs tout†?
Comme mue par une force extÈrieure, je me vois pousser la porte díun salon pour la seconde fois de la journÈe. Je níai pas le temps de faire demi-tour quíune jolie fille avec une coupe courte couleur platine síapproche de moi, sourire aux lËvres†:
“Bonjour Mademoiselle†! (Elle tend sa main) Marie, quíest-ce que je peux faire pour vous†?”
Je serre la main quíon me tend, et comme possÈdÈe, jíentends une voix ñ la mienne†? RÈpondre†:
“Ce serait pour une coupe, vous pouvez me prendre tout de suite†?”
“Bien s˚r, suivez-moi, je vais vous faire un shampoing, on discutera ensuite des options†!”
En deux temps, trois mouvements, je me retrouve avec une cape, la tÍte dans le bac, et Marie qui me masse le cuir chevelu. Comment je vais rÈussir ‡ me tirer de l‡†?
“Alors quíest-ce que vous avez en tÍte†?”
Je ne me suis pas rendue compte que jíÈtais maintenant assise face ‡ une glace, les cheveux lavÈs (trois shampoings en une journÈe, je crois bien quíils níont jamais ÈtÈ aussi propres), essorÈs, dÈmÍlÈs, avec une coiffeuse derriËre moi, les ciseaux ‡ la main, prÍte ‡ faire feu.
Cíest ‡ cet instant que je me dis, et aprËs tout, quitte ‡ y Ítre, allons-y franchement. Je ne sais toujours pas dío˘ jíai pu sortir líhistoire que jíai improvisÈe dans la minute qui a suivi†:
“Cíest-‡-dire, jíai toujours eu plus ou moins la mÍme coupe (Note†: jusque l‡, cíest vrai), mais je viens me faire plaquer par mon amoureux (Note†: faux, ma derniËre relation sÈrieuse date du lycÈe, et on a rompu avant de passer le bac. Depuis, jíai plutÙt alignÈ les flirts et les histoires lÈgËres). Du coup, je veux vraiment faire peau neuve, mais je ne sais pas vraiment ce que je veuxÖ”
Est-ce que ces mots sont vraiment sortis de ma bouche†? Je dois avoir perdu la raison, laisser carte blanche ‡ une coiffeuse est parfois líune des pires erreurs de la vie díune femme (avec des trucs genre un mariage loupÈ, tomber enceinte, etc.). Pour Ítre bien s˚re, je rajoute†:
“Ö mais ce dont je suis s˚re, cíest que veux look totalement diffÈrent†!”
Et Marie de rÈpondre, ‡ la fois professionnelle et dÈcontractÈe†:
“Vous avez dÈj‡ teintÈ vos cheveux?”
“Non.”
“Vous avez dÈj‡ eu une frange†?”
“Pas depuis mes sept ans.”
“Vous avez dÈj‡ portÈ la nuque dÈgagÈe†?”
“Euh, non plus.”
“Vous me faites confiance†?”
“Oui, je pense.”
“Ok, alors on va commencer par faire de vous une petite brunette†! Ca vous va†?”
Tout sourire, Marie attend mon aval. Mon cúur bat la chamade, quand je lance, thÈ‚trale†:
“Je suis entre vos mains†!”
“Alors cíest parti†!”
Sans plus attendre, Marie ramËne ses cheveux sur ma nuque et y approche dangereusement les ciseaux. Je me fige et sens une sueur froide couler sur ma tempe. Les ciseaux se ferment comme au ralenti. Mes cheveux glissent de part et díautre de mon visage, libÈrÈs de la poigne de la coiffeuse. Bien que jíai eu les cheveux au moins ‡ mi-dos pour aussi long que je me souvienne, je dois me rendre ‡ líÈvidence. Pour la premiËre fois de ma vie, mes cheveux sont au dessus du niveau de mes Èpaules.
“Bon, commence par la coloration†!” annonce Marie, líair de rien, sur son ton enjouÈ.
Elle enfile des gants transparents, prÈpare une sorte de p‚te odorante dans un bol en mÈlangeant le contenu de plusieurs tubes, et commence ‡ líappliquer au pinceau sur mes cheveux, en prenant bien soin de ne louper aucune mËche. Le temps semble passer rapidement, tandis que ma tÍte se couvre peu ‡ peu de teinture. Ce que je ne sais pas encore, cíest que je vais devoir renouveler líopÈration toutes les six semaines grand max, si je ne veux pas que des racines ch‚tain se mettent ‡ pointer le bout de leur nez.
“Houl‡. (Cíest Marie qui parle).”
“Quíest-ce quíil y a†?”
“Jíavoue Ítre un tantinet inquiËte par un “houl‡”, l‡, maintenant, tout de suite.”
“Il va falloir faire quelque chose pour vos sourcilsÖ”
“Comment Áa†?”
“Ils sont trop clairs pour votre nouvelle couleur. Deux options†: soit on les teint, soit on les Èpile. ”
“Quíest-ce que vous feriez ‡ ma place†?”
Erreur.
“LíÈpilation sera beaucoup jolie avec votre nouvelle coupe, et vous qui voulez du changement, je vous garantis que Áa va vous changer ra ñ di ñ ca ñ le ñ ment†!” dit-elle, toujours gaiement, en ponctuant chaque syllabe díun petit mouvement de la main, pouce et index recourbÈs en “O”. “Ok†?”
“Ok.”
O˘ est passÈe ma forte personnalitȆ? Est-ce que je vais vraiment dire “oui” ‡ tout jusquí‡ la fin de la coupe†? Marie síaffaire ‡ la pince ‡ Èpiler sur mes sourcils pendant un long et douloureux moment, puis síempare díun crayon de maquillage et trace un trait de chaque cÙtÈ de mon front, ‡ la place o˘ ils Ètaient quelques minutes auparavant. Evidemment, je suis dos au miroir.
“Je prÈfËre redessiner les sourcils avant de montrer le rÈsultat, sinon le choc est souvent brutalÖ” dit Marie ‡ voix basse, concentrÈe sur son tracÈ, comme ‡ elle-mÍme.
Síensuit le classique de la couleur†: pose, retour au bac ‡ shampoing, rinÁage, soin des cheveux, dont Marie me fait la rÈclame, je cite†:†”il faut de bons produits pour entretenir une couleur, díautant plus que les cheveux sont fragilisÈs, Áa permet díÈviter la casse et les fourches.” (Sic).
Retour ‡ la case dÈpart, face au miroir cette fois. Evaluation de la situation†: il semble que je sois brune (‡ moins que la couleur Èclaircisse au sÈchage, mystËre ‡ niveau l‡ de la transformation ñ Oui, inutile de se mentir, je pense quíon peut parler de transformation dans mon cas). Jíai une sorte de carrÈ long au niveau des Èpaules. Ok, jusque l‡, cíest ce ‡ quoi je míattendais, mais il y a quelque chose de bizarre sur mon visage. Les sourcils†! Marie me les a ÈpilÈ entiËrement, et ils ont ÈtÈ remplacÈs par un trait de crayon noir en arc haut perchÈ (ils níont jamais vraiment repoussÈ). Quíest-ce quíil míarrive†? Avec quelle tÍte je vais sortir de l‡†?
Pendant que je me pose ces questions existentielles, Marie a eu le temps de relever mes cheveux, laissant libre la nuque, ce qui me rappelle un Èpointage, mais en beaucoup plus court.
“Vu que vous avez beaucoup cheveux, je vais vous faire une sous-coupe, comme on en a discutÈ au dÈbut. Níayez pas peur, Áa risque de chatouiller un peu.”
Elle me pousse la tÍte en avant, et la tient fermement en place. Encore une fois, impossible de savoir ce qui se passe. Jíentends un “clic” suivi díun bourdonnement sourd.
“Ne bougez pas”, dit Marie, pÈremptoire.
A peine temps de dire “ouf” que ce bourdonnement se propage en vibration dans ma nuque (cíest trËs agrÈable). Jíai ‡ peine le temps díanalyser la sensation que quasi-simultanÈment†: le bourdonnement devient plus aigu. Je sens une grosse mËche de cheveux glisser le long de mon cou pour se poser sur mes genoux. Il fait soudainement froid sur ma nuque.
La vibration monte jusquíen haut de mes oreilles, puis le bourdonnement redevient sourd. Quíest-ce qui se passe†? Je tente de relever la tÍte pour ausculter líampleur des dÈg‚ts, mais Marie tient bon, et rapidement, je sens la pression de líoutil et la vibration qui líaccompagne un peu plus ‡ gauche cette fois sur ma nuque. A nouveau le crissement aigu, une nouvelle mËche rejoint la premiËre sur mes genoux et le courant díair frais se fait plus prÈsent.
LíopÈration est renouvelÈe trois ou quatre fois, jusquí‡ ce que Marie atteigne, bande aprËs bande, le cÙtÈ gauche de ma nuque. Je suis alors autorisÈe ‡ relever ma tÍte. Jíessaye de comprendre ce qui a changÈ dans mon reflet, qui me paraÓt identique au premier abord. Puis je tourne la tÍte sur le cÙtÈ, et je me rends compte que le courant díair frais que je sens sur ma nuque vient du fait que je níai plus de cheveux ‡ cet endroit-l‡. Marie repose líoutil responsable de ma tonte partielle ñ une tondeuse, bien s˚r, sur son caddie, alors, quíabasourdie, je risque une main hors de la cape et touche ñ avec apprÈhension, ma nuque. Je níy trouve quíune sorte de duvet un peu rÍche, un peu comme une barbe díhomme de trois joursÖ
“Ca change, hein†?”
Tu lías dis†! O˘ est la fille aux cheveux longs qui síest levÈe ce matin†?
Je risque de mettre du temps ‡ míhabituer.
“Si cíest le cÙtÈ un peu rÍche qui vous rebute, je peux faire quelque chose, on verra Áa ‡ la fin.”
Marie me libËre une mËche de líarriËre de la tÍte en disant Áa, et commence ‡ couper le haut de la nuque. Sauf que cette fois-ce, je peux enfin voir ce qui se passe dans la glace, et une nouvelle fois, cíest vraiment court. Elle continue, section par section, et atteint rapidement le sommet de mon cr‚ne. Je tourne la tÍte pour vÈrifier, et je ne suis pas dÈÁue†: la zone est coupÈe au cordeau, dans une ligne qui síarrÍte au niveau du milieu de mes oreilles. Ce qui cache ‡ peine la partie qui vient díÍtre tondue.
Ma chËre coiffeuse retire la pince qui retient le cÙtÈ droit. Je retrouve une vision presque rassurante de cheveux aux Èpaules, ce qui commence ‡ me sembler Ítre genre hyper long, finalement.
Ce que jíaime bien faire ‡ ce moment l‡ de la coupe, cíest montrer grosso modo ce que Áa va donner ‡ la fin, faÁon “bande-annonce”.
Je hausse un de mes nouveaux sourcils en regardant Marie dans les yeux. Elle me fait un sourire, cligne de líúil, et donne un grand coup de ciseau dans les mËches nouvellement libÈrÈes, díarriËre en avant, et je vois une quinzaine de centimËtre de cheveux síÈparpiller sur mes genoux.
“Voil‡†!” fait-elle satisfaite.
Tout le cÙtÈ droit de ma chevelure atteint ‡ peine mon menton. Le changement est pour le moins brutal.
“Ne vous inquiÈtez pas, je vais vous couper tout Áa bien proprement, maintenant†!” ajoute Marie, s˚rement ‡ la vue de mon air effarÈ.
Elle ramËne les cheveux dans la pince (elle tient ‡ peine, vu la nouvelle longueur), líexception de la mËche la plus basse quíelle Ègalise de faÁon ‡ rejoindre la section de la nuque. Ensuite, cëest une autre mËche qui subit le mÍme sort. LíopÈration se rÈpËte jusquí‡ quíelle atteigne le sommet de ma tÍte. Je níai pas le temps de cligner des yeux que líautre cÙtÈ subit le mÍme sort, et rapidement, mes cheveux les plus longs arrivent ‡ peine au niveau de ma bouche, hormis la zone du front qui reste maintenue par une pince ‡ part.
C‡ y est. Je dois me rendre ‡ líÈvidence, jíai les cheveux courts.
“Ok, la coupe est presque finie”, annonce Marie, en libÈrant la derniËre mËche díune main, faisant glisser ses doigts le long de celle-ci de líautre, stoppant net juste en dessous de mes yeux et terminant son geste díun coup de ciseaux sec, de telle sorte que la derniËre mËche qui avait survÈcu ‡ la bataille viennent rejoindre ses copines, ÈparpillÈes par paquets entre mes genoux et le sol du salon.
Je me demande si je dois me sentir libÈrÈe. Ou juste me mettre ‡ pleurer. Ou ‡ rire nerveusement du grotesque du guÍpier dans lequel je me suis fourrÈe.
“Plus quíune jolie frange courte et on passe au brushing†!”, ajoute-t-elle gaiement.
La vue míest peu ‡ peu restaurÈe tandis que Marie síaffaire ‡ me dessiner une ligne impeccable au milieu du front, au dessus des sourcils “quíil serait dommage de cacher, quand mÍme”.
Elle me malaxe ensuite la tÍte avec diffÈrents produits, pour “donner un beau volume et faire briller”, ce qui me change radicalement de ma politique dÈsormais obsolËte díÈviter les produits coiffants qui alourdissent le cheveu. Elle síempare de son sËche-cheveu díune main et díune grosse brosse ronde de líautre.
Mes cheveux sont dÈj‡ quasi-secs, ce qui fait que je ne tarde ‡ voir le rÈsultat final se profiler. En effet, moins díun quart díheure plus tard, le vrombissement du sÈchoir laisse place ‡ un silence reposant, bientÙt coupÈ par ma styliste, qui retourne ma chaise subitement avant que jíai pu prendre pleinement connaissance avec ma nouvelle coupe.
“Attendez, ne dites rien, je vous refais le maquillage†! Comme Áa vous aurez le total look pour juger†!”
Sa main experte fait quíen trois minutes chrono, je porte fond de teint, blush, mascara, fard, et rouge ‡ lËvre. Hmmm, encore du changement, jíavais pour habitude de me maquiller trËs peu.
Marie fait tourner le siËge avec lenteur (il ne manque que les roulements de tambour), et l‡, cíest la stupeur. Qui est cette fille†? Cíest moi†? Non, je rÍve, Áa ne peut pas Ítre moi. La transformation est tellement totale que je ne me reconnais pas. Par quoi commencer†? La couleur, peut-Ítre†? Mes cheveux níont pas Èclairci en sÈchant, au contraire, ils ont pris des reflets bleutÈs. Je suis brune. ComplËtement. Brune. Noir. Du coup, je suis hyper p‚le, et mes yeux bleus on líair de díÍtre phosphorescents sous la courte frange qui surligne mon regard. Les cheveux míarrivent ‡ peine ‡ la bouche sur líavant, et líarriËre est, on peut le dire, vraiment, mais alors vraiment, court. Jíai líimpression que ma tÍte est super lÈgËre, et je sens le moindre courant díair sur ma nuque. Marie mía peint la bouche en rouge vif, ce qui accentue mon cÙtÈ poupÈe de porcelaine chinoise.
“Alors, vous vouliez du changement, vous en avez†! Vous níÍtes pas prÍte de recroiser votre “ancienne vous” dans la glace†!”
Mon Dieu†! Je me rend soudain compte quíen effet, il me faudra au moins un an pour revenir ‡ la longueur que jíavais en entrant (sans compter la frange†!) et certainement plus de trois pour retrouver une belle chevelure dans le creux du dos. Quant ‡ ma belle couleur naturelle… Comment allais-je me dÈbarasser de ma coloration noir de jais ? Quíest-ce que jíai dans la tÍte†? Ma mÈtamorphose est complËte et peut-Ítre irrÈversible†! Marie enchaÓne†:
“Quíest-ce quíon fait pour votre nuque†? Vous Ítes díattaque pour un dernier petit changement†?”
Je glisse ma main sur ma nuque. Cíest un peu rÍche, en effet. Bon, aprËs tout, le mal est fait. Quíest-ce que risque ‡ dire oui†?
“Banco.”
“Ok, cíest parti†!”
Marie me relËve les cheveux afin de dÈgager totalement la nuque, puis pose une serviette chaude sur la partie dÈgagÈe. Je suis ÈtonnÈe par le nombre de pinces quíil lui faut pour tout tenir en place. Elle prend un bol sur son caddie et commence ‡ fouetter une crËme blanche avec une sorte de gros pinceau. Je níai pas la moindre idÈe de ce qui míattend. Elle applique la crËme sur la partie tondue de ma nuque, et sors un rasoir “coupe choux” de son tablier. Ok. La solution ‡ “presque pas de cheveux”, cíest “pas de cheveux du tout”.
“Je vais vous demander de rester totalement immobile, je ne voudrais pas vous couper†!”
Une pression sur le haut de ma tÍte míindique que je dois la baisser. Je sens le rasoir glisser sur ma nuque, retirant la crËme avec ce qui restait de duvet. En quelques minutes, ma nuque est totalement chauve.
“HmmmÖ Je níai pas souvent líoccasion d’utiliser mon rasoir ‡ mÍme la peau, vous savez, surtout sur une femme†!”
Marie me passe une serviette sur líarriËre de ma tÍte, applique une lotion “aprËs-rasage” (sic), et libËre mes cheveux de la palette de pinces qui les tenait en place. En quelques coups de brosses experts, ma coiffure est remise en place.
“Fermez les yeux, síil-vous-plaÓt†!”
Elle approche sa main de mon visage pour le protÈger tout en intimant son ordre. Je míexÈcute. Jíentends le bruit caractÈristique díune bouteille de spray alors que líair environnant se charge díune odeur chimique. Marie applique la laque par petits coups, en síassurant bien de níoublier aucun angle díapproche. Une bonne demi-bouteille plus tard, jíentends un “et voil‡” qui marque la fin des hostilitÈs. La styliste tire un coup sec sur le velcro de la cape pour la dÈtacher et me passe un pinceau ‡ longs poils dans la nuque (cíest doux) pour retirer les minis cheveux qui auraient pu y rester.
“Alors, quíest-ce que vous dites de ce nouveau look†?”
Mes mains, soudainement libÈrÈes de la cape se dirigent instinctivement sur ma nuque, qui est ‡ la fois douce et lisse, dÈnuÈe de tout trace du moindre cheveu. Je touche le peu de cheveux qui me reste avec prÈcaution, et la sensation est bien diffÈrente de la longue chevelure libre et soyeuse ‡ laquelle jíÈtais habituÈe. La couche de laque donne une sorte díeffet carton ‡ ma coiffure, qui semble parÈe ‡ rÈsister ‡ des vents de force huit. MÍme mon visage míest totalement Ètranger, entre le maquillage, líabsence de “vrais” sourcils, et la courte frange Èpaisse qui me mange le front.
“Cíest-‡-direÖ”
“Ca change, hein†?”
Je ne prends pas la peine de rÈpondre, me lËve de la chaise en prenant appui sur les bras, extenuÈe par le torrent díÈmotions qui mía submergÈe pendant la transformation. Je ne suis pas totalement s˚re de rÈaliser ce qui vient de se passer (cíest ce quíon appelle un syndrome de stress post traumatique, non†?).
Je me retrouve ‡ la caisse, et pendant que Marie prÈpare ma note, je contemple ‡ nouveau mon reflet dans le miroir qui est en face ‡ moi, en pied. Quelque chose cloche. Je rÈalise que líimage qui míest reflÈtÈe au dessus de mon cou semble appartenir ‡ une autre personne que le corps qui lui est attachÈ, affublÈ díune paire de vieux jeans et díun pull en v marine un peu dÈbraillÈ (bon, cíest le week-end, donc tenue dÈcontract, ok†?).
“Je vous note un rendez-vous pour un brushing pour samedi prochain†?”
Marie me sors de ma rÍverie.
“Pardon†?”
Sourire, mouvement de la main genre†: “ne vous inquiÈtez pas, je míoccupe de tout”.
“Pour votre coupe, il vous faut ab ñ so ñ lu ñ ment un entretien professionnel, faites-moi confiance.”
Elle me tend un papier avec une heure de rendez-vous.
“A samedi, alors†! Bonne fin de journÈe, Mademoiselle†!”
Quelques minutes plus tard, et mon portefeuille dÈlestÈ de quelques billets, me voil‡ sur le trottoir, une femme nouvelle, les mains tremblantes. Je suis un peu mal ‡ mon aise et genre super consciente du fait que je porte un carrÈ super court, que je suis super maquillÈe, et que je porte des vÍtements totalement dÈcalÈs avec ma nouvelle coupe. Heureusement, mon imperí est suffisamment passe partout pour Èviter la cata. Bon. De toute faÁon, ce qui est fait est fait. Inutile de se mentir, autant rÈsoudre le problËme des habits tout de suite.
Mes pas me dirigent ‡ nouveau chez Amandine, la boutique de fringue, et la demoiselle est toujours ‡ ses mots croisÈs quand je passe le pas de la porte.
“Hello†!”
Je lance Áa díune voix timide. Amandine lËve le regard. Je vois passer sur son visage líincomprÈhension, la surprise, líinterrogation, puis le professionnalisme prend le dessus.
“Manu†?”
“Oui, oui, cíest bien moi.”
“Wahou. Dis-donc, Áa change ce nouveau look†! Tu sors de chez le coiffeur†?”
“Oui, jíavais envie de changer de tÍte.”
Je me sens peu ‡ peu prendre confiance en moi.
“Cíest ravissant, mais cíest complËtement diffÈrent de ton ancien style.”
“Tu aimes†?”
Question rhÈtorique.
“Jía ñ do ñ re. Cíest complËtement un “fashion statement”. Quíest-ce que je peux faire pour toi†? Tu reviens pour le caban noir†?”
“Non, non, pas du tout (Je fais un geste de haut en bas, montrant mon accoutrement). Tu peux me sortir un ensemble qui serait plus dans le style de ma nouvelle coiffure†? Je crois que je peux faire une croix sur les jeans et les vieux pulls†!”
Elle síÈclipse deux minutes dans líarriËre-boutique et en ressors chargÈe de quelques cintres.
“Essaye Áa.”
Je passe en cabine, enfile la jupe, boutonne le chemisier et passe la veste quíelle m’a passÈe. Comme elle connaÓt ma taille, tout tombe impeccable. Je sors de la cabine et me mets face au miroir. Amandine síapproche.
“Nickel. En gÈnÈral, les femmes qui ont ce genre de coupe sont un peu plus ‚gÈes, mais bon, les vÍtements qui vont bien avec restent les mÍmes ‡ tout ‚ge.”
En effet, le tailleur jupe noir associÈ ‡ ce chemisier blanc en simili satin avec manches bouffantes me va comme un gant.
“Tu es s˚re†? Je veux dire, cíest quand mÍme un petit peu conservateur, comme style†?”
“Oui, enfin bon, (elle pointe ma tÍte de líindex), cíest-‡-dire que tu nías pas vraiment la coupe la plus versatile.”
Je fais mine de me regarder sous toutes les coutures avant díannoncer†:
“Ok. Je prends.”
“Dans ce cas, je te confisque tes converses. Mets Áa.”
Elle me sort des bottes ‡ talon haut de derriËre le comptoir, que jíenfile. Pile ma taille.
“Impec. JíÈtais ‡ peu prËs s˚re quíon faisait la mÍme taille de pieds. Jíai toujours une paire de chaussures un peu habillÈes au magasin, au cas o˘.”
“Je peux te les emprunter†? Je te les ramËne rapidement. Díailleurs, je veux bien garder les habits pour repartir, si tu níy vois pas díinconvÈnients.”
“No problem.”
Je paye et pars. Je suis contente díavoir mis un collant sous mon jean ce matin, pour lutter contrer le froid, Áa aurait ÈtÈ ridicule de repartir jambes nues. La nouvelle Emmanuelle est un peu old-school, certes, mais avec cette coupe de cheveux est tellement extrÍme que Áa rattrape bien la tenue un peu stricte, non†? Je prends conscience du flux de mes pensÈes. Est-ce que je suis en train de míhabituer ‡ ma nouvelle image†? Je devrais Ítre en larmes au fond de mon lit, non†?
Je ressors de la boutique la tÍte un peu plus haute. Quíest-ce qui míarrive†? Est-ce que je serais en train de commencer ‡ apprÈcier díavoir ÈtÈ changÈe en jeune femme snob et sophistiquÈe†? Mes talons claquent ‡ chaque pas sur les pavÈs. Le maquillage sur ma figure est comme un masque, sauf que ce níest pas un dÈguisement que je peux retirer une fois la soirÈe terminÈe. Jíai líimpression que les gens que je croise dans la rue me regardent diffÈremment. Dire que je viens de sacrifier en une journÈe pas loin díun demi-mËtre de cheveux. Que vont en penser mes amis†? Que va en dire Julie†? AprËs tout, cíest elle qui mía poussÈe (et de faÁon pas trËs sympa) ‡ essayer un nouveau look.
PlongÈe dans ces pensÈes, je pousse la porte de mon appartement. Líhorloge de la cuisine me stipule quíil est dix-neuf heures trente. On est samedi, jíai rendez-vous dans deux heures au bar avec ma bande de copains. Il faut que je prenne une douche et que je mange un morceau avant. Je jette mon imperí sur le lit, lequel est bientÙt accompagnÈ du reste de mes vÍtements. En culotte et sous-tifí je passe ‡ la salle de bains. Je míarrÍte devant la glace du lavabo, et prends le temps de me contempler ‡ nouveau. Ma nuque est toujours chauve, mes cheveux toujours noirs de jais, mes sourcils níont pas miraculeusement repoussÈ. Je baisse le regard vers ma poitrine. La brassiËre blanche toute simple que je porte au quotidien avec sa culotte assortie ont líair totalement hors de propos avec ce qui se passe au dessus de mon cou. Encore une chose que je vais devoir adapter ‡ mon nouveau look.
Je finis de me dÈshabiller et passe sous la douche. Au moment díouvrir líeau, je me dis quíil vaut mieux ne pas risquer díabimer mon brushing. Je fouille dans un des tiroirs ‡ proximitÈ et retrouve une charlotte, dont jíavais ‡ moitiÈ oubliȆlíexistence (elle ‡ d˚ me rendre service deux ou trois fois ‡ tout casser). Avec prÈcaution, je la passe, en prenant bien soin de ne pas dÈranger mes cheveux. Je rËgle la tempÈrature, et me douche rapidement. Un coup de serviette, et je passe ‡ la chambre. Je sors mon plus bel ensemble de sous vÍtements, un string noir et un soutien-gorge en dentelle que je pose sur le lit. Je prends le temps de me regarder ‡ nouveau dans le miroir en pied de la chambre (indispensable pour coordonner ses tenues). Quelque chose cloche. A ce stade l‡, je ne sursaute plus en voyant mon visage ornÈ díune frange courte, ou líabsence de cheveux le long de mon dos.
Cíest mon entre-jambe, qui, une fois nue, semble hors contexte avec le reste (couchez les enfants, le paragraphe suivant dÈvoile des dÈtails un peu intime). En effet, jíai pour habitude de porter le poil pubien faÁon forÍt noire, avec juste ce quíil faut díÈpilation pour ne pas ressembler ‡ un yÈti ‡ la plage líÈtÈ venu. Ni une ni deux, je repasse ‡ la salle de bains, et prends un rasoir neuf dans mon stock de rasoirs pour les jambes, et míassois sur les toilettes, couvercle baissÈ. Je mets quelques coups sur le cÙtÈ, mais les poils sont trop longs pour que Áa fonctionne correctement. JíÈchange le rasoir pour†ma paire de ciseaux ‡ ongles, et je commence ‡ couper touffe par touffe, en tirant le poil díune main, et coupant ‡ ras de líautre. Petit ‡ petit des touffes de poils se posent sur mes jambes et tombent sur le sol. En un rien de temps, je níai plus un poil long ‡ couper, je troque donc les ciseaux pour le rasoir, qui fonctionne quand mÍme beaucoup mieux maintenant. Une fois terminÈe, je repasse ‡ la chambre pour contempler mon úuvre.
“Ah, cíest quand mieux†!” dis-je ‡ voix haute et ‡ moi-mÍme.
Adieu líAmazonie, ma chatte est dÈsormais taillÈe en minuscule ticket de mÈtro. Je passe mon string, et la transparence de la dentelle laisse clairement voir que je níai quíune bande de poils de deux centimËtres de large pour quatre de haut sur mes parties intimes, autrement aussi glabres que ma nuque. Je passe le soutien-gorge qui fait pigeonner mes seins, puis mon ensemble neuf qui termine ma tenue. Je regrette de ne pas avoir de porte-jarretelle (hmm, il faudra remÈdier ‡ Áa), mais me rappelle díune paire de bas autocollants que je ressors du fin fond de mon armoire et que je passe en relevant ma jupe. Je dÈlaisse les bottes díAmandine, (jíen possËde moi-mÍme une paire en cuir vernis), passe les miennes, lisse ma jupe du plat de la main, ajuste ma veste, et me voil‡ face au miroir, prÍte ‡ sortir. Difficile de croire que la femme qui me regarde nía que vingt ans. Jíai rÈussi ‡ ne pas abimer mon maquillage, et vu la dose de laque, il semble que ma coiffure est indestructible. Je retire les petites boucles díoreilles que je porte au quotidien, et les remplace par de grosses boucles fantaisie ‡ clip que jíassortis ‡ un long sautoir de perles noires. La panoplie commence ‡ Ítre complËte. Ah, encore un dÈtail ‡ rÈgler, mes ongles ne sont pas vernis. Líheure indique neuf heures moins le quart, ok, jíai le temps de me faire les mains, tant pis pour les pieds. Je choisis mon vernis le plus rouge dans la boite sur la commode, et apprÈcie díavoir rÈussi ‡ ne pas me ronger les ongles depuis quelques semaines. Une vingtaine de minutes plus tard, je suis fin prÍte. Je dÈcide de sauter le repas, troque mon imperí contre un manteau long ‡ col de simili fourrure (la sensation sur ma nuque nue est incroyable), et quitte mon appartement, direction le bar.
Le bar est une sorte de lounge ‡ la mode, que je rallie au prix díune demi-heure de transports en commun. Le physionomiste ‡ líentrÈe me laisse líaccËs au bistrot, et je suis accueillie par une salve de musique Èlectronique jazzy tamisÈe par une ambiance ‡ base de boules ‡ facettes et de nÈons bleutÈs. Dix heures moins le quart. Le lieu est pour líinstant clairsemÈ, ce qui fait que díun coup díúil panoramique, je peux constater líabsence de mes amis. Une fois níest pas coutume, cíest moi qui arrive donc en premier, alors que je suis plutÙt du genre ‡ trainasser jusquíau dernier moment pour finalement me pointer avec une moyenne díune heure de retard (je sais, cíest mal). Je míinstalle au bar et míapprÍte ‡ commander une biËre, mais le miroir placÈ sur le mur en face de moi me rappelle ‡ líordre. Je níai plus vraiment le look pour míenvoyer trois ou quatre grandes biËres dans la soirÈe. Je fais un signe de la main au barman.
“Bonsoir Madame, quíest-ce que je vous sers†?”
Madame†?
“Je voudrais une coupe, síil-vous-plait.”
Cíest bien la premiËre fois quíun serveur ne míappelle pas “Mademoiselle”, mais jíimagine que jíaurais du me douter que les “Mademoiselle” risquent de se faire rare, dÈsormais.
Je suis en train de terminer mon verre quand Julie fait son entrÈe. Elle se dirige vers moi, mais au moment je me prÈpare ‡ lui faire un signe de reconnaissance, elle bifurque brusquement pour aller síinstaller ‡ une table dans une alcÙve. Je sens une main se poser sur mon bras. Cíest celle du barman qui pose de líautre une deuxiËme coupe devant moi.
“Ce monsieur serait ravi que vous acceptiez de prendre ce verre en sa compagnie.”
Il míindique díun petit coup de tÍte líautre bout du bar, et son geste est relayÈ par un signe discret de líhomme. Il doit avoir une quarantaine díannÈes, les tempes grisonnantes, et est vÍtu díun costume italien. Je míapprÍte ‡ refuser†líoffre, puis je me ravise, en me disant, et aprËs tout†?
Je míempare du verre et de mon sac ‡ main, et vais prendre place sur le tabouret libre ‡ cÙtÈ de líhomme.
“Bonsoir, Mademoiselle, je suis Philippe, ravi que vous ayez acceptÈ mon invitation.”
Jíimagine que le “Mademoiselle” níest pas neutre, mais plutÙt une premiËre manúuvre pour me mettre dans son plumard. Sa main est tendue vers moi, paume vers le haut. Je place la mienne dans la sienne, en disant†:
“EnchantÈe, Emmanuelle.”
En parfait gentleman, il approche ma main sa bouche, et me la rend sans y avoir posÈ les lËvres.
“Vous voulez dire quíen plus de vous avoir g‚tÈ díun physique magnifique, vous parents ont eu le go˚t de vous donner un prÈnom charmant†?”
Je dois líavouer, ce genre de compliment me fait rougir.
“Puis-je vous demander ce que vous faites dans la vie†?”, continue-t-il.
La conversation síengage donc sur un mode de flirt plus ou moins affichÈ. Je passe un bon moment. Les maniËres de líhomme sont bien diffÈrentes de celles dont jíai líhabitude avec les garÁons de mon ‚ge. Je ne vois pas le temps filer, et nous devons bien boire trois ou quatre coupes de champagne. EuphorisÈe par líivresse, je ris ‡ ses blagues et ses anecdotes de voyage, et ne retire pas ma main lorsquíil la prend dans la sienne pour me faire un compliment sur ma coiffure ou líÈlÈgance de mon allure. Il finit par consulter sa montre†:
“Ecoutez, Emmanuelle, il commence ‡ se faire tard, et jíai une rÈservation au Grand HÙtel (la meilleure table de la ville). Que diriez-vous si je vous invitais ‡ dÓner†?”
“Mais, Ö”
“Allons, Allons†! Vous níallez quand mÍme pas me laisser terminer cette soirÈe seul, aprËs le bon moment que nous venons de passer ensemble†?”
Je me rappelle ‡ ce moment-l‡ que le plan Ètait de rejoindre des amis, qui doivent certainement boire des coups ‡ cent lieues de l‡, soit gÈographiquement de líautre cÙtÈ de la salle. Au diable†! Jíaurais mille autres occasions de passer des soirÈes avec eux, alors que l‡Ö
“Je serais ravie de partager votre table ce soir, mon cher Philippe” (ok, je me la joue un peu grande dame, mais ai-je vraiment le choix†?).
Nous quittons líÈtablissement sans que je ne jette le moindre coup díúil ‡ la table ‡ laquelle sont installÈs mes amis. Philippe me conduit par le bras jusquí‡ sa voiture, un coupÈ allemand díune couleur criarde.
Le dÓner se dÈroule de maniËre trËs agrÈable. Je suis de plus en plus ‡ líaise avec ma nouvelle apparence et commence ‡ me demander si ce níÈtait pas la meilleure chose qui me soit arrivÈe depuis belle lurette. La bouteille díexcellent Bordeaux qui accompagne le repas finit de lever mes inhibitions, et je me prends ‡ faire ‡ du pied ‡ líhomme, en mettant mon dÈcolletÈ en avant.
Cíest au moment du dessert que Philippe se montre ‡ visage dÈcouvert†:
“Tu as dÈj‡ envisagÈ le travail díEscort-girl†?” (On est passÈs au tutoiement entre líentrÈe et le plat).
“Pardon†?”
Il sort une carte de visite de sa poche intÈrieure.
“Je suis directeur díune agence, et, tu sais, tu as exactement le profil quíon recherche. La plupart de nos filles sont soit des “bimbos”, soit des mannequins suÈdois, mais toi, tu as vraiment ce petit quelque chose qui fait la diffÈrence.”
Cíest-‡-dire queÖ ”
“Ecoute, ne dis pas “non” tout de suite, rÈflÈchis-y. Tu as líadresse de líagence sur ma carte, passe lundi matin, je te ferai une proposition, qui, je te le promets, sera plus quíallÈchante.”
Jíavoue que je ne líavais pas vu venir. Les yeux baissÈs sur la carte, je balbutie†:
“Mais, euh, maisÖ Ca níest pas de la prostitution†?”
“Tout dÈpend du point de vue. Pour moi, la prostitution, cíest plutÙt la passe ‡ trente euros sur le siËge díarriËre díune voiture. Tout ce que te proposes, cíest de faire passer du bon temps ‡ mes clients, aprËs, libre ‡ toi díaller jusquíau bout ou pas.”
“Mais moralementÖ”
“Tu sais, la vie est faite de telle faÁon que líÈthique personnelle est juste un frein. Tu es en premiËre annÈe de Lettres, cíest Áa†? Dans le meilleur des cas, ce qui tíattend, cíest une belle thËse au prix díheures et díheures de travail avec ‡ la clÈ un poste de professeur ‡ líautre bout du pays, payÈ une misËre. La balle est dans ton camp.”
Il fait un signe au serveur.
“Pouvez-vous míamener la facture, síil-vous-plait†?”
“Bien s˚r, Monsieur.”
Philippe paie gÈnÈreusement la note, en silence. Nous nous dirigeons vers la sortie.
“Je tíoffre un dernier verre†?”
“Non merci.”
“Dans ce cas, laisse-moi te dÈposer chez toi.”
Trop tard pour le dernier bus. Jíaccepte líoffre, et le bolide traverse la ville ‡ toute allure. ArrivÈe ‡ bon port, líhomme fait le tour de la voiture pour míouvrir la portiËre.
“Emmanuelle, jíai passÈ une soirÈe charmante. Pense ‡ mon offre, tu verras, le travail que je te propose níest pas trËs diffÈrent du moment quíon vient de passer ensembleÖ Sauf que tu es payÈe trËs avantageusement.”
“Je crois que cíest tout rÈflÈchi, mais merci pour cette bonne soirÈe, et pour ta gÈnÈrositÈ.”
Il me baise ‡ nouveau la main, et en profite pour me glisser une liasse de billets dans le dÈcolletÈ. En deux temps trois mouvements, il est de retour dans son vÈhicule, et baisse la vitre cÙtÈ passager.
“Je tíattends lundi matin.”
Je níai pas le temps de rÈpondre quíil tourne dÈj‡ au coin de la rue, me laissant stupÈfaite, et substantiellement plus riche. Je reste immobile dans líhÈbÈtude la plus totale une bonne minute, mais finis par reprendre mes esprits, qui me permet de rejoindre mon appartement et les bras de MorphÈe, sÈrieusement saoule et sidÈrÈe par líÈtrange tournure quía pris cette longue journÈe.
Je suis rÈveillÈe par la sonnerie de mon tÈlÈphone portable. Il míindique ‡ la fois quíil est plus de midi et que Julie essaye de me joindre pour la troisiËme fois. Jíai vaguement mal ‡ la tÍte, mais je dÈcroche quand mÍme.
“Emma†?”
“HmmmÖ”
“Je te rÈveille†?”
“L‡, oui”, je rÈponds, la voix embuÈe de sommeil.
Elle choisit díignorer cette information et enchaine directement†:
“Dis-donc, on síest fait un sang díencre hier soir, tu Ètais passÈe o˘†? Díailleurs, tu ne vas pas le croire, figure-toi quíon a trouvÈ ton sosie†! Enfin, plutÙt ton double nÈgatif†!”
“Hmm†?”
Je líentends pouffer de rire au bout du fil.
“On a vu une fille qui faisait du rentre-dedans ‡ un type, tu vois, genre vieux beau. On aurait dit toi, mais en version carrÈ brun ultra-court, maquillÈe comme une voiture volÈe, et habillÈe en da-dame†! Je peux te dire quíon a ricanÈ.”
Tout ‡ coup, je suis parfaitement rÈveillÈe. La journÈe díhier me revient en mÈmoire.
“Je peux te rappeler†?”
Elle doit sentir ma gÍne au bout du fil, puisquíelle rajoute†:
“AttendsÖ Ne me dis pas que cíÈtait toi de líautre cÙtÈ du bar†?”
“Jíai un double appel (mensonge ÈhontÈ), je te rappelle plus tard, ok†?”
Et je raccroche.
Je míassieds en tailleur sur mon lit, essayant de mettre de líordre dans mes idÈes.
Jíai les cheveux bruns et courts. (Je passe ma main sur ma nuque).
Je suis ‡ moitiÈ tondue.
Je níai plus de sourcils. Le miroir au pied du lit me renvoie líimage díune jeune femme hÈbÈtÈe, avec le maquillage dÈfait (normal, je suis rentrÈe ivre et díhabitude je ne suis pas maquillÈe, comment aurais-je pu penser ‡ me dÈbarbouiller avant de me coucher†?)
Je me suis rasÈe la chatte dans un Èlan de folie, et je porte actuellement des dessous en dentelle noire, et une paire de bas autocollants.
Jíai rencontrÈ un homme qui mía proposÈe de devenir pute de luxe.
C‡ fait beaucoup ‡ ingurgiter díun coup.
Je me lËve, me verse un grand verre de jus de fruit que je bois avec une aspirine. ArrÍt aux toilettes, puis je mets devant la glace de la salle de bains pour me dÈmaquiller. Cíest la premiËre fois que jíai líoccasion de míobserver le visage nu. Líabsence de sourcils et particuliËrement flagrante, et associÈe ‡ ma tÍte dÈcoiffÈe de la nuit, la vue níest pas trËs rago˚tante. Je míattaque ‡ ma coiffure ‡ grand coups de brosse, et, Ètonnamment, elle se replace plutÙt facilement. Jíattrape une bombe de laque sous le lavabo (elle a du me servir deux fois grand maximum, pour une occasion genre mariage ou baptÍme), et míen asperge une bonne dose. Ok. La question des cheveux est rÈsolue pour líinstant. Je me serais bien collÈe toute entiËre sous la douche, mais bon, je ne crois pas avoir les compÈtences nÈcessaires pour me faire un brushing professionnel. Díautant plus que ma nouvelle coupe ne doit exactement Ítre du genre “wash and go”. Je me dÈshabille, enfile ma charlotte (hem, je crois bien que les douches tÍte nue sont dÈfinitivement ‡ relÈguer au rayon des choses du passÈ), et accueille avec joie le rÈconfort díun jet díeau chaude sur ma peau.
La prioritÈ suivante est les sourcils, parce que je dois avouer que je ressemble prÈsentement ‡ une extra-terrestre. Je me saisis díun feutre noir et essaye de reproduire le travail de Marie. Si elle est capable de faire deux sourcils parfaits en quelques secondes, il me faut un bon quart díheure pour obtenir un semblant de rÈsultat. Mais je ne perds pas patience, et trois quarts díheure plus tard, jíai ‡ nouveau des sourcils corrects.
On est dimanche, je dÈcide díopter pour la robe de chambre (oui, mon vice du dimanche, cíest de passer la journÈe en peignoir en satin) aprËs avoir enfilÈ un soutif et une culotte propre. Passage ‡ la cuisine o˘ je lance de líeau ‡ chauffer pour une bonne tasse de thÈ. Je me retourne, et jíaperÁois mon sac ‡ main ‡ moitiÈ renversÈ sur la table, avec en Èvidence, la carte de visite de Philippe et la liasse de billets. Je prends les billets qui sont pliÈs en deux avec au centre une autre carte de visite. Je la retourne. Une Ècriture nerveuse spÈcifie au verso†: “cíest ce que tu gagnerais tous les soirs. On se voit lundi.”. Je repose la seconde carte ‡ cÙtÈ de la premiËre, et me concentre sur les billets. Je les compte deux ou trois fois, pour Ítre bien s˚re que je ne suis pas en train díhalluciner. Un billet de cinq cent (cíest la premiËre fois que jíen vois un en vrai), quatre de deux cents, et sept de cent. Soit un total de deux milles euros. En une soirÈe.
Je reste un long moment immobile ‡ essayer díintÈgrer líinformation. La sonnette de la porte díentrÈe me tire de ma rÍverie. Díun geste rapide, je remets líensemble de mes affaires dans mon sac ‡ main, cartes et billets inclus. Je jette le sac sur mon lit, ferme la porte de la chambre et me dirige vers la porte. Je regarde par le judas. Julie. Je considËre sÈrieusement líoption de ne pas rÈpondre, quand jíentends ‡ travers la porte†:
“Allez, Emma, ouvre, je sais que tu es l‡.”
“Pas maintenant, je ne suis pas en Ètat†!”
“Je viens de traverser la ville, tu peux au moins míoffrir un cafÈ.”
Une minute de silence.
“Emmanuelle†?”
Je suis coincÈe. A contrecúur, je dÈverrouille et ouvre lentement la porte. De líautre cÙtÈ du seuil, Julie a un air effarÈ.
“Oh mon Dieu†! Alors cíÈtait vraiment toi, hier†?”
Je tente le petit sourire díenfant pris en faute avec líúil de biche effrayÈe. Elle síengouffre dans mon appartement. Je níai plus quí‡ refermer la porte et la suivre dans la cuisine. Julie est devant la table, elle a eu le temps de poser son manteau et son Ècharpe sur le dossier díune chaise. Elle approche une main hÈsitante de ma frange, quíelle touche du bout du doigt.
“Ma pauvre chÈrie†! Mais quíest-ce qui tíes passÈ par la tÍte†?”
“HÈ, cíest un peu de ta faute, hein, cíest toi qui mías poussÈe ‡ essayer une “nouvelle coupe” (je fais les guillemets avec les doigts)†! Comme si les cheveux aux Èpaules níÈtaient pas un “vrai” (geste associÈ ‡ nouveau) changement†!”
“HÈ ho, minute, tu ne dÈcemment peux pas me tenir pour responsable de Áa†!”
Je me retourne vers la paillasse, sers deux tasses de thÈ avec líeau que jíai fait chauffer et míeffondre sur une chaise. Je prends une grande respiration et lui rÈsume les ÈvËnements depuis quíon síest quittÈes la veille. Jíavoue que je distribue ‡ Marie le rÙle de la mÈchante qui a abusÈ de ma confiance, que jíomets volontairement líÈpisode de la tonte de mes parties intimes ainsi que líexistence de la liasse de billets. Enfin, en dehors de ces quelques libertÈs díinterprÈtation, je lui dÈpeins un tableau plutÙt honnÍte de la situation, en me plaÁant en parfaite victime du destin (envoyez les chúurs du thÈ‚tre grec et le deus ex machina). Díailleurs, Áa ‡ líair de marcher (non, je ne suis pas une affreuse manipulatrice ñ enfin, seulement quand jíy suis obligÈe), puisque cíest avec un regard plein de sympathie quíelle me dit†:
“Alors ce tocard est vraiment directeur díune agence de call-girls†?”
“Oui, oui, je tíassure.”
“Je fais un aller-retour dans la chambre pour lui montrer la carte de visite (celle sans le petit mot, of course).”
“Wahou. Tu parles díune journÈe†!”
“Tu lías dit.”
Son regard se pose sur ma coiffure.
“Fais-toi voir†?”
Jíapproche la tÍte de sa main tendue, elle risque un doigt sur ma nuque.
“Elle tía vraiment tondue†!”
“Oui, oui, je tíassure, jíÈtais l‡.”
“Alors tu es coincÈe avec cette coupe du coup. Impossible de rattraper Áa avec une coupe plus courte, genre ‡ la garÁonne.”
Est-ce que jíai vraiment envie de rattraper Áa†?
“Oui, jíai bien peur díÍtre coincÈe avec ce look l‡ pour un petit moment.”
“Quíest-ce que tu comptes faire†?”
Elle donne un petit coup de tÍte vers la carte de visite.
“Aucune idÈe. Rien, je pense.”
Est-ce que jíai vraiment envie de laisser passer cette opportunitȆ?
On continue de papoter de choses et díautres, Julie trouve les bons mots pour me remonter le moral, et quand elle me quitte, la nuit est dÈj‡ bien tombÈe. Le week-end mouvementÈ se termine par une pizza dÈcongelÈe devant le film du dimanche soir, et ‡ mÍme pas onze heures, je míeffondre dans mon plumard et sombre dans un sommeil rÈparateur.
Lundi matin. Je suis tirÈe de ma torpeur par la sonnerie du rÈveil. Líappartement est baignÈ par la lumiËre blÍme des matins díautomne. Je passe ‡ la salle de bains. Aujourdíhui, ma coiffure est presque intacte, je la replace en deux coups de brosse, enfile ma charlotte et passe sous la douche. Viens ensuite la sÈquence cosmÈtique. Je rÈussis mes sourcils en moins de dix minutes cette fois-ci, et opte pour le pack complet rouge ‡ lËvre ñ fard ‡ paupiËres ñ mascara (il va bien falloir que je sorte de chez moi aujourdíhui). Vient le moment de líhabillage. Jíessaye diffÈrentes combinaisons, mais tout ‡ líair plus ou moins ridicule avec ma coiffure. Mon ensemble neuf níest pas encore complËtement sale, et cíest avec lui que je finis aprËs rejetÈ toutes les autres possibilitÈs. Je dois me rends ‡ líÈvidence, il va falloir que je refasse ma garde-robe entiËrement. Je dÈjeune rapidement.
Au moment de quitter mon appartement, je retrouve la carte de Philippe. Je pËse le pour et le contre. Díun cÙtÈ, je peux aller en cours, Ítre la risÈe de mes camarades, et lutter pour avoir mon annÈe. De líautre, si je vais ‡ ce rendez-vous, ‡ moi líargent facile et la grande aventure. Je me dis une nouvelle fois†: “et aprËs tout†?”, et commande un taxi pour ma nouvelle vie.
Líagence est situÈe dans un immeuble moderne. Une trËs jolie blonde míaccompagne de líaccueil jusquíau bureau de Philippe. Elle míannonce†:
“Monsieur Philippe, Mademoiselle Emmanuelle est arrivÈe.”
Philippe, qui Ètait en train de travailler sur des papiers, lËve les yeux, fait le tour de son bureau et vient me faire un baisemain.
“Ravi que tu aies pris le temps de considÈrer mon offre. ”
A la blonde†:
“Tu peux nous laisser, Jennifer.”
“Bien Monsieur.”
Elle quitte la piËce et ferme la porte derriËre elle. Philippe se rassoit et me fait signe de prendre place. Il sort des papiers díun tiroir.
“Voici ton contrat.”
“Le moins quíon puisse dire, cíest que tu es direct.”
“Je níai pas de temps ‡ perdre, je pense que toi non plus. Je tíexplique le deal†: tu signes ces contrats, tu fait partie de líagence pour les cinq prochaines annÈes. «a signifie quíon tíaffecte des clients pour des soirÈes. Nos clients doivent Ítre contents. On se fiche de la faÁon dont tu fais ton business, tant quíils continuent de faire appel ‡ nos services. Ok†?”
“Ok.”
“En contrepartie, on síoccupe de tout le reste. Tu as un appartement de fonction, carte blanche sur les frais de reprÈsentation†: vÍtements, instituts de beautÈ, coiffure, et suffisamment díargent de poche pour en mettre de cÙtÈ pour tes vieux jours. Tu peux en plus accepter des pourboires de tes clients. Ok†?”
“Ok.”
“Note Ègalement que jíai fait mettre une clause spÈciale dans ton contrat.”
“Ah bon†?”
“Oui. Je te prends expressÈment pour ton look. La clause bonus me donne le contrÙle l‡-dessus. Tant que tu es sous contrat, tu as donc le devoir de garder la coiffure que tu portes aujourdíhui. Tu auras un abonnement au salon avec lequel on bosse pour quíils te coiffent un jour sur deux. Ok†?”
“Ok.”
“Pas de question†?”
Mon cúur bat la chamade.
“Je signe o˘†?
“L‡.”
Philippe me tend un stylo en montrant les papiers qui sont devant moi. Alors que jíappose ma signature en derniËre page, il dÈcroche son tÈlÈphone.
“Jennifer, appelle Franck, Mademoiselle a signÈ.”
Quelques secondes aprËs, un homme en costume formel de chauffeur de maÓtre entre.
“Emmanuelle, je te prÈsente Franck, il va tíamener ‡ tes nouveaux appartements, aprËs une pause au salon de beautÈ. Tu peux me donner tes clÈs†?”
“Pourquoi†?”
“Pendant ce temps-l‡, on va síoccuper de rapatrier tes affaires et rÈgler le solde de ton ancien appart. ”
Un voyage taciturne en limousine plus tard (Franck níest pas trËs causant), je suis escortÈe hors de la voiture qui síest arrÍtÈe devant un des salons les plus chics (et chers) de la ville. Autant dire que je ne le connais que de rÈputation, mes maigres moyens díÈtudiante ne me permettant pas díenvisager díy mettre les pieds.
Le salon a Èlu domicile dans un appartement bourgeois au premier Ètage díun ancien hÙtel particulier. Franck míouvre la porte díune salle díattente cossue, avec parquet marquetÈ et fauteuils anciens, recouverts de velours parme. Une dame, díune cinquantaine díannÈe, fait son entrÈe, portant un tailleur jupe strict et des cheveux blonds enserrÈs dans un chignon banane.
“Bonjour Mademoiselle, je suis Sophie, cíest moi qui míoccuperai de vous dÈsormais.”
Je la suis dans le salon ‡ proprement parler, tandis que Franck prend place et un magazine dans líantichambre.
“Mon assistante va commencer par vous Èpiler.”
Une jeune fille ‡ peine plus ‚gÈe que moi me fait signe de la suivre dans une piËce adjacente. Elle míadjoint de me dÈshabiller, et je míallonge sur une table destinÈe ‡ líÈpilation. Un long et douloureux moment plus tard, je repasse la porte, totalement glabre. Tout mon corps est exempt du moindre poil rebelle, que ce soit mes jambes, mes aisselles, ou mes parties intimes. MÍme mes avant-bras ont ÈtÈ passÈs ‡ la cire chaude.
Líassistante de Sophie, qui nía pas du dire plus de dix mots jusque ici míinvite ‡ prendre place ‡ un bac ‡ shampoing. Quelques minutes plus tard, Sophie prend le relais, et me fait asseoir devant un miroir.
Philippe a insistÈ pour que vous conserviez la mÍme coiffure. Je vais juste raccourcir votre frange, pour accentuer le cÙtÈ sÈvËre de votre coupe, et míassurer que les parties tondues ne repoussent pas trop vite. Franck vous conduira pour vos deux rendez-vous hebdomadaires, le lundi et le jeudi ‡ 17 heures.
Si je níen Ètais pas encore persuadÈe, l‡, je suis s˚re que Áa ne plaisante pas du tout.
Sophie commence par míappliquer une sorte de crËme sur la nuque. Je tente díengager la conversation†:
“Sophie†?”
“Je vous prierais de vous adresser ‡ moi en míappelant “Madame”. O˘ sont maniËres, Mademoiselle†?”
Houl‡.
“Pardon, MadameÖ Sophie†?”
“Oui, trËs chËre.”
“Puis-je savoir ce que vous Ítes en train de me mettre sur la nuque†?”
“Bien s˚r. Il síagit díune crËme dÈpilatoire professionnelle, ce qui permettra díÈviter de vous raser tous les jours pour que votre nuque reste parfaitement tondue. Sinon, il y a un effet “barbe de trois jours”. Jíai bien peur que nous devrons passer par cette Ètape ‡ chaque rendez-vous pendant les deux prochains mois.”
“Pourquoi seulement les deux prochains mois†?”
“Parce quíau bout de deux mois la repousse est quasi inexistante, nous ne serons plus embÍtÈes par ces vilains cheveux. Pour vos sourcils, on utilisera la solution Èlectrolytique, ce sera plus performant.”
“Mais, Áa veut dire que líÈpilation est dÈfinitive†?”
“Oui.”
Je commence ‡ me demander si signer ces contrats Ètait vraiment une si bonne idÈeÖ
Sans me laisser le temps de considÈrer líinformation plus avant, Madame Sophie síoccupe de ma frange, qui, comme promis, se retrouve raccourcie díune paire de centimËtres. Au stade o˘ jíen suis, ce genre de changement ne míÈmeut plus vraiment, mais jíavoue que je suis un peu excitÈe ‡ líidÈe de voir ma coupe devenir un peu plus “sÈvËre”. Serais-je en train díy prendre go˚t†?
Au moment o˘ la crËme me br˚le considÈrablement la nuque, on se dÈcide ‡ me rincer, puis vient le brushing. Un quart díheure de sËche-cheveux et une demi-bouteille de laque plus tard, je retrouve mon reflet dans la glace, et je dois reconnaÓtre que le petit centimËtre en moins sur ma frange accentue le cÙtÈ femme de mon allure.
“Bien. On se voit jeudi 17 heures. Vous trouverez des vÍtements dans cette piËce (elle míindique une porte du doigt), Franck vous attend dans le vestibule.”
En effet, jíai complËtement oubliÈ que je suis sortie de la sÈance díÈpilation avec une cape noire pour tout vÍtement. Je míisole dans la piËce indiquÈe, qui níest autre que la salle díÈpilation. Ma tenue ayant ÈtÈ escamotÈe, je me rabat sur les vÍtements qui on líair díavoir ÈtÈ laissÈs en Èvidence ‡ mon attention. Cíest ainsi que je quitte la piËce vÍtue díune minirobe et de cuissardes en latex noir, et díun manteau de fourrure court en simili lÈopard. Jíimagine que cela scelle ma transformation de jeune fille classique en pute de luxe, mais je ne sais pas encore ‡ ce moment-l‡ que ce níest quíun dÈtail ‡ la lumiËre que ce ‡ quoi je ressemblerai quelques mois plus tard.
Franck míescorte ‡ mon nouvel appartement, et je suis ravie de dÈcouvrir un superbe loft moderne avec vue panoramique sur la ville. Mes quelques affaires ont dÈj‡ ÈtÈ rapatriÈes et rangÈes. En revanche, aucun de mes anciens vÍtements nía survÈcu au dÈmÈnagement, le dressing dÈborde de robes de soirÈe de crÈateur, de dessous affriolants, et autres tenues sexy. Díun coup, mes doutes sur la signature du contrat síÈvanouissent.
Le reste de la semaine passe ‡ toute allure quoique mon seul impÈratif soit mon rendez-vous chez Madame Sophie, durant lequel je suis ‡ nouveau ÈpilÈe, dÈpilÈe (pour la nuque), coiffÈe, mais Ègalement ÈlectrolysÈe (pour les sourcils) et manicurÈe. Je commence ‡ prendre mes marques dans ma nouvelle vie quand je reÁois un coup de fil au saut du lit (14h) le samedi. Cíest Philippe†:
“Tu as ta premiËre assignation ce soir ‡ 19h. Franck viendra te prendre ‡ 17h pour un passage au salon. Il te transmettra les dÈtails. Mets-toi sur ton 31, tu vas ‡ líopÈra. Ne me dÈÁois pas.”
Cette premiËre expÈrience se dÈroule trËs bien, il síagit díaccompagner un chef díentreprise soi-disant “en congrËs”. On termine la soirÈe dans suite au Grand HÙtel, cíest un monsieur trËs doux et trËs courtois qui me laisse un gÈnÈreux pourboire, et le lendemain midi, Franck míattend avec la limousine pour me ramener chez moi.
Petit ‡ petit, mon quotidien síinstalle en routine, je profite de líargent facile, et ma semaine est rythmÈe par mes rendez-vous “díaffaire” (surtout les week-ends), et mes rendez-vous chez Madame Sophie.
Au bout de trois semaines, je reÁois ma premiËre injection de collagËne dans les lËvres, pour les rendre plus pulpeuses (jíarbore depuis une bouche ‡ la Angelina Jolie).
Au bout díun peu plus díun mois, Madame Sophie est satisfaite de líÈpilation dÈfinitive de mes sourcils, qui sont tatouÈs de maniËre tout aussi dÈfinitive la semaine suivante.
Quelques semaines plus tard, elle dÈcide que je níai plus besoin de crËme sur ma nuque. Evidemment, durant tout ce temps, ma coupe et ma couleur sont entretenues avec un tel soin que ma chevelure nía pas changÈ díun iota depuis mon premier rendez-vous.
ParallËlement ‡ cela, je prends de líassurance dans mon “mÈtier”, et devient experte dans líart de líhabillage, du maquillage, de la sÈduction, ainsi que dans divers jeux sexuels plus ou moins tordus.
Les mois passents.
(A suivre, peut-Ítre)
2 thoughts on “Et Après Tout?”
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Thanks for sharing your thoughts on hair.
Regards
Excellent ! On veut une suite…